J557 (730) A la maison
L'homme qui murmurait à l'oreille des vaches
Après un long périple initié le 1er juillet 2015, je rentre enfin à la maison le vendredi 29 septembre 2017, après avoir totalisé 23800 kilomètres et 730 jours sur les routes d’Europe et d’Asie.
Cette fois-ci, c’est la fin.
Depuis la première fois de mon voyage, j’ai senti que cette pause n’en était pas une, que je tournais cette fois-ci la dernière page de mon roman.
Le roman d’un rêve, d’une vie, d’expériences. Il y a 2 ans, je partais de chez moi berné de craintes et d’espoirs, sans vraiment savoir ce qu’allait donner le produit de ce choc de sensations.
Je partais avec l’espoir de connaitre la vraie liberté et de surmonter l’insurmontable. J’imaginais mondes et montagnes, mers et chimères, mais j’étais loin d’imaginer le reste … Un apprentissage inattendu de la vie, des rencontres extraordinaires, une palette de sentiments allant de l’extase à l’anéantissement. Au fil de ce blog, j’ai bien essayé de coucher tout cela par écrit, mais l’essentiel est resté ancré en moi, comme un trésor enfoui qui enrichira ma vie intérieure.
Depuis la fin de mon périple début octobre 2017, je suis en train de digérer tout ça paisiblement, tout en affrontant les nouveaux défis de la vie sédentaire : me trouver un travail, une raison de continuer sans me mouvoir, un équilibre. Finalement, je trouve que la vie était bien plus simple à bicyclette, à satisfaire mes besoins basiques, comme étancher ma soif de contact ou apaiser ma faim de pédaler. Mais je prends tout cela avec la philosophie d’une personne qui recommence tout à zéro. Avec tout à reconstruire, tout à me prouver de nouveau, en somme, réinventer ma vie. Je me retrouve dans la situation d’avant mon départ, à la fin d’une étape et au début d’une autre, qui j’espère sera tout aussi enrichissante et excitante que celle que je viens de traverser.
Mais avant ça, il me faudra traverser de nombreuses fois la gare St Lazare. Cette gare parisienne qui me fait revivre l’ultime partie de mon périple à chaque fois que je pose mes yeux sur ses panneaux d’affichage : Dieppe, Caen, Trouville … Autant de noms de villes qui résonnent dans ma tête comme de précieux souvenirs de voyage. Après la Belgique, je me réservais encore un bon gros mois d’aventure pédalifère à travers mon beau pays, la France. J’avais à coeur de prendre mon temps pour la der, et de vérifier si l’enthousiaste expérience des premières semaines de voyage en 2015 était uniquement due à mon état d’excitation plutôt qu’aux talents intrinsèques de nos régions.
Et bien, je dois dire que je n’ai pas été déçu, bien au contraire. La France, j’ai donc la confirmation, c’est le kiff, et une des meilleures destinations pour le voyage à vélo. Déjà, cela a été très émouvant de retrouver dès le passage de la frontière moultes petits signes qui me signifiaient le retour à la maison. Les petites routes communales crottées par les paysans, le son caractéristique des clochers, les boulangeries bien achalandées, les petites chapelles, les calvaires, les affiches des concours de belote, les châteaux d’eau si particuliers … Et pour couronner le tout, le “bonjour” repris en choeur par les badauds … Toutes ces habitudes perdues depuis de longs mois qui reviennent à moi comme un enchantement doux et irréel.
Je vois mon propre pays comme un étranger, et autant je découvre ses beautés avec un oeil naïf et neuf, je me prends aussi de plein fouet les petits défauts de mes concitoyens. Irascibles , râleurs, nerveux au volant, chauvins (je m’inclus dedans) … C’est bien le seul endroit au monde où l’on peut me pourrir la vie avant de me remplir une bouteille d’eau ! Tous ces petits travers sont toutefois largement compensés par des valeurs humaines hors-norme que je (re)découvre au fur et à mesure de mon entrée dans le territoire bien-aimé. Gentillesse, bienveillance, curiosité, spontanéité … je retrouve toutes ces qualités qui m’avaient gonflé de confiance lors de mon départ en juillet 2015. Le Français a bon coeur, est critique et passionné. Ici, chaque rencontre représente une découverte riche en rebondissements. Je prends tellement de plaisir à évoluer dans mon bocal !
Et puis, je retrouve La Bouffe. L’idéal du cyclocampeur : du bon pain et du bon fromage. De quoi me concocter des sandwichs au poil, savoureux, gourmand, copieux, et qui puent à 200 mètres à la ronde. Le côté pratique, c’est que cela cache aussi l’odeur de mes chaussettes sales. Je cultive olfactivement mon côté Kim Jong-un, et ne me trimballe jamais plus sans mes bombes nucléaires au lait cru. Je découvre aussi des mélanges inédits. Début septembre, c’était encore la pleine saison des mûres, alors j’ai tenté un casse-dalle expérimental baguette-jambon-camembert-mûres ... Qui s’est avéré être un véritable délice !
C’est qu’il faisait beau quand j’ai passé la frontière, et je n’avais qu’à me baisser pour ramasser quotidiennement une bonne cargaison de ces délicats fruits de ronce. Mon entrée en matière a été douce comme les blés d’un beau mois de juillet. J’empruntais alors l’arrière-pays, en traversant gaiement les terres vertes et paisibles du parc naturel régional des caps et marais d’Opale. Je profitais tendrement du calme de ces petites routes de campagne, me faufilant légèrement dans un trafic routier aussi dense que la chevelure de Zinedine Zidane.
Cette accalmie fut de courte durée : à peine le littoral retrouvé à Boulogne sur Mer que je me prends de plein fouet le déchaînement des forces de la nature : vent de face, pluies diluviennes, côtes en routes départementales - à partager avec des chauffeurs rapides et furieux … Je traverse aussi sous les éléments débridés la baie de Somme, terre de chasseurs. En bivouac, j’entends au loin les coups de fusil des braconniers qui retentissent comme un appel à la mort. J’observe aussi sur ma route d’étranges étangs artificiels peuplés de répliques de canard en plastique. Non loin de là, bien cachés dans leur bunker, les affreux viandards attendent courageusement l’arrivée des volatiles et … Baaam ! Je comprends dorénavant l’origine du mot “canarder”. Y’a pas à dire, quel noble sport. Cela a été l'enfer jusqu’à Caen, très loin de la sinécure annoncée … J’encaisse pour une dernière fois l’épreuve des rafales de vent “coup de boutoir”. Telles les falaises de craie en Pays de Caux, je subis l’érosion de mon moral qui se disperse en petits galets sur mon passage.
Ce temps de chien, finalement, je pourrais dire que cela a été une expérience normande en immersion totale. Surtout, cela ne m’a pas empêché de vivre de belles aventures. Une fois passé le déchainement divin, j’étais tellement fier et rasséréné. Et puis, la côte d'Albâtre, c’est tellement joliii ! Les superlatifs me manquent pour qualifier cet éclat, cette élégance, cette grâce qui caractérisent ces découpes de calcaires monumentales saupoudrées de verdure. Ce sont finalement les impressionnistes qui avec leur art décrivent le plus habilement tout le nuancier des couleurs merveilleuses de ce littoral indomptable. Monet, Manet, Saint-Delis, Raoul Dufy ou encore Gustave Courbet ont érigé un style pictural à la hauteur de la beauté des lieux, révélant par le biais de leur palette et d’un peu de peinture à l’huile les aiguilles majestueuses d’Etretat, les reflets dorés du soleil levant sur les maisons du port d’Honfleur ou encore les fabuleux couchers de soleil sur l’horizon dégagé de la plage du Havre.
Le Havre, ma ville coup de coeur de cette fin de périple. Il faut dire que mon parcours dans cette cité portuaire a été jonché de nombreuses et formidables rencontres. Tout a commencé par l’une des anecdotes les plus folles de mon voyage : quelques kilomètres avant la ville, je croisais sur ma route un groupe de japonais à vélo, mené par un français … Qui était en fait mon hôte warmshower de Gifu (Japon), Gilles ! Quelle heureuse surprise ! Nous n’aurions pas pu mieux faire si nous nous étions donné rendez-vous. 2 jours après cette rencontre inattendue, Gilles me faisait rentrer dans sa joyeuse bande d’ados nippons et me présentait à une association d’allègres cyclistes, “La Roue libre”. S’en suivirent 4 jours de pures joies et de bonne humeur. Au delà de cette euphorie, j’ai aussi découvert une ville singulière. Un mélange subtil de modernité et de monde ouvrier. Auguste Perret y laissa un chef d’oeuvre d’urbanisme bétonné classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Sur ces grisonnantes surfaces de ciment comme sur les galets de son immense plage se reflètent le bleu profond de la mer et de l’horizon maritime, formant un ensemble homogène et harmonieux.
C’est aussi dans son musée d’art moderne André Malraux (le Muma) que je découvris les étonnantes études de vaches du peintre Eugène Boudin. A travers ses esquisses, il réussit à capter l’essence même de la Normandie : ce bovidé timide, placide mais curieux qui peuple immuablement les champs et bocages de la région. Elles sont devenues au fil du temps mes amies inséparables, des intimes confidentes et mon plus fidèle public. Tel un Robert Redford des cambrousses, je devenais au gré de ces rencontres bovines l’homme qui murmurait à l’oreille des vaches.
C’est peu avant Ouistreham que je fais mes adieux à la mer qui ne m’avait presque plus quitter depuis la Thaïlande. Elle m’aura bercer du son de ses vagues de nombreuses et douces nuits. A Caen, j’arpente les rues d’une cité un peu tristounette, où le noir et le blanc règnent en maîtres absolus. Même un soleil radieux et un beau ciel bleu n’arrivent pas à réchauffer son austère atmosphère … Cependant, la ville regorge de trésors patrimoniaux et architecturaux, ce qui en fait une étape agréable et captivante.
Un peu plus au sud, j’explore la fameuse Suisse normande. Mais alors, pourquoi le terme helvète ? Bon, à priori, pas besoin de vendre un rein pour aller faire ses courses ... J’en déduis que la référence prend son origine dans ses petits vallons fort pittoresques. L’alliance inattendu du bocage et de l’alpage.
A Domfront, je reprends le cap vers l’est en me fait cueillir par le début de l’automne en plein parc naturel régional du Perche. Quel plaisir pour cette fin de périple d’observer les arbres se parer progressivement de leur dorure saisonnière. Les feuilles se font précieuses et m’ouvrent la voie royale : je roule sur un tapis rouge et or. J'expérimente aussi un petit plaisir de saison : rouler sur les centaines de glands parsemant mon chemin. Cela fait des clics et des clacs comme lorsqu’on éclate du papier bulle. C’est aussi le moment de la récolte des pommes. Des fruits produits dans les fermes de ceux qui se lèvent à l’aube. Un soir, j’ai la chance d’être invité à planter ma tente à côté de l’une d’entre elles. C’est le domaine du jeune agriculteur passionné Grégoire Ferré. Le lendemain matin, j’assiste religieusement au pressage des pommes, préalable à la production du cidre. A l’aide d’une vieille machine datant des années 50 et dans le pur respect du terroir et des traditions. L’étape idéale pour clore logiquement l’ultime chapitre de mon voyage en terre normande.
Je n’avais alors plus qu’à me laisser dériver tranquillement jusqu’à chez mon chez moi et à profiter sereinement des derniers kilomètres, des derniers vent dans le dos, des derniers rayons de soleils matinaux, de tous ces petits plaisirs qui ont bercé mon aventure et construit mes moelleuses habitudes de nomade. Après Chartres, je me retrouvais à suivre lentement le long des bords de l’Eure, revivant à l’inverse mes premiers coups de pédales d’il y a plus de 2 ans.
Dès lors, c’est une foule de souvenirs qui me submerge. Je me souviens de la chaleur insoutenable des tous premiers jours, de mes inoubliables premières rencontres, de mes premières difficultés, mais aussi de mes premières joies, et commence à mesurer l’étendue du chemin parcouru.
Je fais l’inventaire de tous ces petits moments de bonheur fugaces et intenses, ces courts moments de grâce qui justifient à eux seul le voyage. Je me revois braver les pistes cabossées des steppes mongoles, me réveiller ébahi au milieu des cerisiers en fleurs japonais, m’endormir paisiblement dans mon bivouac 3 étoiles en me laissant bercer par le ronronnement de la Loire … J’affronte de nouveau les coriaces moustiques de la Baltique, me replonge dans la boue de mon premier col chinois. Je me rappelle enfin de cet exceptionnel coucher de soleil sur une de ces paradisiaques plages thaïlandaises, ou encore être tendrement touché par la délicate timidité des petits laotiens.
Finalement, de rêve en rêve, mes roues se retrouvent soudainement à fouler les chemins de terre de mon enfance. Je longe maintenant le petit bois où je construisais jadis ma première cabane. J’aperçois au loin mon village ... puis la maison familiale. On y est. C’était ma volonté de revenir en solo, pour vivre à fond ces dernières sensations. Aussi, je souhaitais rentrer comme je suis parti il y a plus de 2 ans, symboliquement seul, pour boucler la boucle sereinement. Je dois aussi avouer que j’ai pris un malin plaisir à élaborer secrètement la petite surprise de la date de retour à mes parents. Ils m’attendaient toutefois de pied ferme, et cela a été de très belles retrouvailles. Avec au final une sensation étrange d’être parti la semaine précédente, l’impression que rien n’a changé, que tout est resté en place …
Si la majeure partie de cette navigation s’est effectuée en solitaire, je n’aurai cependant jamais pu arriver à bon port sans votre soutien, votre apport. Tous vos messages d’encouragement et vos témoignages de sympathie m’ont donné des ailes. S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir de tout ça, en définitive, cela serait sans aucun doute ce qui a suivi le vol de mon premier vélo, à Brastislava. Tant d’énergie positive et d'événements favorables … Ce fut à peine croyable ! Les uns après les autres, vous vous êtes tous relayés pour me remettre en selle ! C’est à partir de ce moment que j’ai réellement pris conscience que je n’étais pas seul à pousser sur mes pédales. J’ai pris énormément de plaisir à partager avec vous toutes mes histoires. Aussi, j’ai régulièrement pensé à ma chère et tendre famille. Eux aussi m’ont régulièrement accompagné en pensée dans mes pérégrinations. Pour finir, je voudrais dédier cette aventure à ma toute première et inconditionnelle fan, celle qui ne manquait jamais un de mes articles, ma Mamie. Elle a entrepris son ultime voyage et restera à jamais dans mon coeur.
PS : je voudrais aussi remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont contribué à rendre ce dernier épisode inoubliable. Julie et Lucas de Dieppe - Anne et Vincent du Havre - Annie, Nathalie et Jeanne du Havre - Laurence de Honfleur - Olivier et Marie de Dives - François, Charlotte et Marie de Caen - Grégoire de Comblot - Delphine et sa petite famille de Chartres. Merci infiniment pour votre hospitalité et votre gentillesse désintéressée !
Léna Tisseau
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