La tente est dans le pré

Journal de bivouac #3, en France

La photo :

 

L'histoire :

 
Le 3 septembre 2017, aux alentours de Hazebourck, France

En ce bel après-midi de la fin de l’été, je traverse fébrilement la frontière entre la Belgique et la France, au milieu de nulle part. Rien ne m’indique vraiment que je suis de retour en terre promise, excepté quelques panneaux de signalisation bien familiers. Me voilà enfin revenu dans mon beau pays, après avoir baroudé deux ans sur les routes d’Europe et d’Asie. Je suis enthousiaste à l’idée de pouvoir enfin m’adresser aux passants dans ma langue natale, de pouvoir acheter des camemberts au lait cru … Et d’enfin pouvoir faire la razzia dans les “vraies” boulangeries !

Il fait beau, il fait doux, je roule en short et me perds volontairement dans le dédale des routes communales de la campagne française, bien décidé à emprunter le chemin le moins court. C’est une manière comme une autre de faire durer le plaisir du voyage. Mais déjà, la pénombre gagne et je dois trouver mon bivouac du jour. Grâce à mon expérience de voyageur aguerri, il m’est maintenant assez aisé de débusquer une jolie petite place pour y planter ma tente : j’ai comme un radar interne qui me permet d’imaginer les chemins cachés derrière les bosquets et de visualiser les bonnes situations derrière les buissons. Je suis il est vrai fort aidé par les nombreux champs de maïs à disposition. A cette époque de l’année, ils attendent encore bien sagement que leur maître vienne les moissonner. J’en choisi un, un peu au hasard, et débouche sur petit un bout carré de pelouse fraîchement tondu. J’apprécie particulièrement ce moment, où je me mets à la recherche du spot de camping providentiel : c’est le petit bonheur du soir quotidien dont je ne me lasse pas.

La nuit est bien fraîche, largement humide, mais cela ne m’empêche pas de dormir comme un loir. Au petit matin, la bonne surprise : j’ai élu domicile en mitoyenneté d’une abondante réserve de mûres ! Les buissons hexagonaux regorgent de satisfactions. Bizarrement, ni en Belgique, ni en Hollande, je n’ai pu tâter du délicieux fruit de ronce. Et pourtant, c’était déjà la saison là-bas, et le climat y est favorable. N’y aurait-il pas chez eux assez de place pour la plante à barbelés ? Je ne boude pas mon plaisir et après avoir bien garni mon estomac dans le cadre d’un copieux petit déjeuner, je remplis à ras bord mes tupperwares dans l’optique d’agrémenter mon futur déjeuner. Ce fut alors l’occasion de tenter une merveilleuse expérience culinaire : un sandwich baguette-jambon-camembert-mûres. Un véritable délice gustatif, répété tout autant que je puisse cueillir la délicate baie sauvage … Ce casse-dalle improbable deviendra finalement le symbole de mes premiers coups de pédales du retour en France.

Lire plus : http://www.sebaroudeur.com/.../lhomme-qui-murmurait-a...

Lire la suite »

Savoir interpréter les signes

Journal de bivouac #2, au Japon

Publié le 16 Aug 2022
Catégorie Japon

La photo :


L'histoire :

 
Le 16 mai 2016, à Matsumoto Ikedacho Matsuo, Japon.

J'entame ma progression dans la vallée secrète d’Iya, à Shikoku, la plus petite des 4 îles principales japonaises. Me voilà à grimper une route juste assez large pour une voiture, à flanc de montagne, serpentant dans une forêt de conifères luxuriante. Il ne faut pas avoir le vertige ! Jadis, ce fut l’endroit qu’a choisi le clan Heike pour se cacher après sa débâcle face au clan Minamoto. Un lieu reculé, emprunt de mystère. Le décor m'envoûte. C’est comme si on m’observait, au loin, derrière cet arbre, ce fourré. Je soupçonne un regard curieux mais bienveillant. On essaye de pénétrer mon esprit, de démasquer mes intentions. C’est peut-être le Kodama. On m’en avait parlé. Il est notamment évoqué dans les films de Miyasaki, dont l’excellent Princesse Mononoke. Le Kodama, c’est l’esprit de la forêt. Peut-être s'intéresse-t-il maintenant à ce modeste voyageur qui s’aventure sur ses terres. J’ai l’intuition qu’il m’offre sa protection.




En un coup de vent, cette sensation de sécurité se volatilise. Changement soudain d’ambiance. L’air se charge d’humidité. L’obscurité gagne anormalement du terrain. Les nuages se font menaçants. Le Kodama essaye-t-il de me prévenir d’un danger ? Je redouble d’attention. Je me souviens alors que mon appli météo m’annonçait depuis quelques jours un terrible orage. Ces prévisions sont le plus souvent à prendre avec des pincettes. Je passe parfois entre les gouttes, comme je peux me retrouver au cœur de la tempête. Pour affiner le pronostic, mon meilleur allié, c’est le ciel. C’est lui qui m’indique le moment fatidique.



J’estime alors mon sursis à 1 heure avant l’arrivée du déluge. Le hic, c’est que je suis coincé sur cette route qui ne m’offre ni abri, ni repli. Je consulte mon GPS : en amont, il y a la possibilité d’un village, à dix kilomètres de grimpette … Pas sûr de pouvoir y arriver à temps, ou même d’y trouver un refuge. Je réfléchis. 10 km en aval, à rebrousse chemin, je me souviens avoir repéré une construction bétonnée sur le bord de la route, une sorte d’observatoire couvert. Pour le rejoindre, ça descend : je suis assuré d’y arriver avant le début des hostilités. Cet orage, je le pressens, c’est du costaud, je ne peux pas me permettre de me faire cueillir comme ça.



Quelques coups de pédales plus tard, j’y arrive enfin. Mais le temps presse. Je dois tout d’abord gravir les nombreuses marches qui me séparent de la plateforme. Je débarrasse à la hâte mon vélo de tout son matériel afin de pouvoir le porter à l’épaule. Les premières gouttelettes tombent déjà. Je prends rapidement la décision de monter ma tente. Je pousse des tables de picnic, déballe mes affaires, étale mon gourbi. Le sol en dur ne me permet pas de planter de sardines, alors je leste avec mes sacoches et quelques bouts de parpaings trouvés ici et là. Un montage pas très orthodoxe mais efficace. Cela suffira. De toutes manières, ce n’est plus le moment de tergiverser : le déferlement a déjà commencé, employant toutes ses forces dans la bataille. L’horizon est bouché, c’est comme si une cascade d’eau passait au-dessus de ma tête. A ce moment, je suis bien heureux et soulagé d’avoir trouvé ce toit. L’intensité pluviométrique ne faiblit pas, bien au contraire. L’eau n’est plus suffisamment évacuée et se rapproche inexorablement de l’emplacement de ma tente. Le contact est imminent. Je cherche alors à sécuriser la protection de mes affaires les plus hydrophobes : mes papiers et mon équipement électronique. Mais bon, quelque part, je mesure déjà la chance incroyable d’avoir cette planque, et je n’ose même pas imaginer la galère si j’avais dû affronter seul avec ma Gore-tex ce déchainement de la nature … Je pense au Kodama, mon protecteur, le remercie de m’avoir prévenu. Sans son intervention, je n’aurais peut-être pas été aussi attentif aux signes avant-coureur de ce déluge.

J’ai l’impression qu’il m’appelle … Je tends l’oreille, mais n’entends que le bruit de l’eau claquant contre le béton. En me concentrant, je distingue un murmure, éloigné. C’est comme si on diminuait le son de la pluie pour me le laisser entendre … Ah, mais ça y est, la pluie perd en intensité. Le déluge se transforme en averse, et le niveau de l’eau se stabilise. Je suis sauvé ! Ma tente restera au sec cette nuit, je peux dormir en paix.



Le lendemain matin, je savoure le calme environnant et prends le petit déjeuner tout en découvrant les beautés naturelles qui s’offrent à moi. La brume peu à peu se lève et me révèle la splendeur de la vallée, qui m’aura livré une partie de son secret. En revanche, je garderai pour moi ce que m’a chuchoté à l’oreille l’esprit de la forêt. Je dirai juste qu’il est bon de savoir qu’il y a toujours quelqu’un de bienveillant qui nous protège, où que l’on aille.



Lire plus : https://www.sebaroudeur.com/voyage-velo/japon/le-voyageur-perseverant

Lire la suite »

Bivouac avec les loups

Journal de bivouac #1, en Mongolie

La photo :


L'histoire :

 
Le 21 août 2016, en Mongolie.

Cela fait déjà un bon mois que je sillonne les pistes. A ce moment-là de l’aventure, mes chaotiques et timides premiers coups de pédales mongoles me semblent déjà bien loin, tant le périple a été riche d’enseignements. Je ne me sens plus perdu dans l'immensité des steppes, et me suis imprégné peu à peu de l’esprit des nomades. La Mongolie, c’est la première contrée où je n’ai pas à expliquer pourquoi diable je dors dans une tente. Ici, personne ne me prend pour un fou. Et même bien plus que ça : je suis potentiellement un des leurs.

Je suis maintenant sur le retour et me dirige lentement vers Oulan-Bator. Plus on se rapproche de la capitale, plus on trouve des routes bitumées, plus rapides, plus pratiques, plus confortables. C’est tentant, mais beaucoup moins aventureux qu’un inattendu chemin de terre ! Quand on roule sur l’asphalte, on se convertit en spectateur émerveillé par la beauté des paysages qui défilent, comme un visiteur au musée qui admire une jolie peinture. Mais dès lors lorsqu’on s’engage sur une piste, c’est comme si on rentrait à l’intérieur du tableau. Après tout, je suis venu visiter la Mongolie, pas le Louvre ! Alors, lorsque ma curiosité est piquée par ce point “remarquable” indiqué sur ma carte, là-bas au loin, au pied de cette mystérieuse montagne, je ne me fais pas prier pour m'éloigner du chemin le plus court.




Je progresse dès lors dans le parc national du Khögnö Khan (ou Khugnu Tarna). Un lieu se caractérisant par la richesse et la diversité de ses paysages. Ce sont tout d’abord de majestueuses dunes de sable qui m'accueillent, pour ensuite laisser la place à une sorte de végétation semi-aride dense et touffue, très différente de ce que j’ai pu foulé jusqu’à présent dans les steppes. Mais dieu, je n’imaginais pas cette montagne aussi lointaine ! Ma progression est lente et difficile. En Mongolie, chaque exploration se paye en litres de sueur et de larmes.



J’arrive finalement à destination. Je découvre alors un endroit magique, atypique, un oasis verdoyant flanqué au bord de la montagne. La végétation y est luxuriante, il y a de nombreux arbres, me fournissant une ombre bien trop précieuse et rare dans cette contrée. C’est le début de l’après-midi, il fait chaud et j’ai épuisé la plus grande partie de mes réserves d’eau. Au loin, une silhouette, que j’alpague gentiment. J’espère pouvoir lui demander des indications sur un endroit où remplir mes gourdes. Il s’approche : je constate tout d’abord que mon homme n’est pas un mongole. Il se rapproche encore, je devine un occidental. Je balbutie quelques phrases en anglais contenant le mot “water”, et j’entends en retour dans un français impeccable qu’il serait heureux de pourvoir à mes besoins.



Voici René. Un personnage. Français, marié à un mongole d’Oulan Bator. Il estive chaque année ici, seul, à expérimenter la permaculture dans cet endroit reculé de la Terre. Il l’a choisi pour son microclimat favorable et la proximité d’une source d’eau pure. Son but avoué : promouvoir la culture de légumes biologiques en Mongolie pour permettre aux locaux de varier leur alimentation et diversifier leurs sources de revenu. Un combat pas vraiment gagné d’avance, mais il n’est pas du genre à baisser les bras devant l’adversité. Un vrai caractère de nomade ! Avec lui, j’apprends que ce lieu est hautement sacré, et que le point indiqué sur ma carte est en fait l’ancien monastère Ovgon Khiid, qui fut le théâtre d’une sanglante exécution de moines. Aujourd’hui encore, c’est un lieu de pèlerinage. Je passe quelques heures avec René, bien heureux de pouvoir m’entretenir avec un compatriote après ces quelques jours de solitude. Nous parlons de tout et de rien, mais toujours des sujets les plus sérieux au monde. Entre légendes locales et passions personnelles, il me livre sa vision du monde et les secrets de son lieu de vie. J’apprends au passage que cette montagne abrite une meute de loups, qu’il n’a entrevu que très rarement mais entend régulièrement : l’animal fuit généralement la présence humaine et la plupart du temps, lui nous voit bien avant que nous puissions le voir …



Le moment est venu pour moi de reprendre la route, après cette pause enchanteresse qui m’aura fait prendre conscience de la valeur hautement symbolique du site. Je quitte René chargé d’un trésor composé de quelques tomates bio bien juteuses et de nombreuses histoires à me remémorer. Il me tarde de retrouver la piste sauvage, puis de trouver mon bivouac du jour. Je contourne la montagne par sa face sud-est dans le but de me mettre à l’abri du vent fort qui vient de se lever. Je profite finalement de cette providentielle formation rocheuse (voir photo), qui fera office de paroi idéale contre les alizées du soir. Me voilà bien installé, avec vue imprenable sur la montagne sacrée. Je repense à cette étape, à cette rencontre improbable, à ces chemins de bravoure. Je laisse les légendes se distiller dans mon imaginaire et m’abandonne peu à peu à la charge allégorique de ce lieu magique. Finalement, je décide de conclure cette journée fantastique par le soleil du juste. Je suis maintenant bien blotti au fond de mon duvet et ne lutte plus contre la fatigue … Mes songes se perdent progressivement dans les mythes enfouis du mont Khugnu Tarna. Au cœur de la nuit, j’entends au loin, dans un demi-sommeil embrumé, le hurlement du loup. Je n’ai pas peur, je me sens même en sécurité. Au fond de moi, je sens que la montagne dont il est l’animal protecteur lui a donné la charge de veiller sur moi. Je peux me rendormir paisiblement … Au petit matin, je suis toujours là, plus vivant que jamais, et je me dis que peut-être, tout ceci n’était finalement qu’un doux rêve.

Lire la suite »

Retour en haut