Bivouac avec les loups

Journal de bivouac #1, en Mongolie

La photo :


L'histoire :

 
Le 21 août 2016, en Mongolie.

Cela fait déjà un bon mois que je sillonne les pistes. A ce moment-là de l’aventure, mes chaotiques et timides premiers coups de pédales mongoles me semblent déjà bien loin, tant le périple a été riche d’enseignements. Je ne me sens plus perdu dans l'immensité des steppes, et me suis imprégné peu à peu de l’esprit des nomades. La Mongolie, c’est la première contrée où je n’ai pas à expliquer pourquoi diable je dors dans une tente. Ici, personne ne me prend pour un fou. Et même bien plus que ça : je suis potentiellement un des leurs.

Je suis maintenant sur le retour et me dirige lentement vers Oulan-Bator. Plus on se rapproche de la capitale, plus on trouve des routes bitumées, plus rapides, plus pratiques, plus confortables. C’est tentant, mais beaucoup moins aventureux qu’un inattendu chemin de terre ! Quand on roule sur l’asphalte, on se convertit en spectateur émerveillé par la beauté des paysages qui défilent, comme un visiteur au musée qui admire une jolie peinture. Mais dès lors lorsqu’on s’engage sur une piste, c’est comme si on rentrait à l’intérieur du tableau. Après tout, je suis venu visiter la Mongolie, pas le Louvre ! Alors, lorsque ma curiosité est piquée par ce point “remarquable” indiqué sur ma carte, là-bas au loin, au pied de cette mystérieuse montagne, je ne me fais pas prier pour m'éloigner du chemin le plus court.




Je progresse dès lors dans le parc national du Khögnö Khan (ou Khugnu Tarna). Un lieu se caractérisant par la richesse et la diversité de ses paysages. Ce sont tout d’abord de majestueuses dunes de sable qui m'accueillent, pour ensuite laisser la place à une sorte de végétation semi-aride dense et touffue, très différente de ce que j’ai pu foulé jusqu’à présent dans les steppes. Mais dieu, je n’imaginais pas cette montagne aussi lointaine ! Ma progression est lente et difficile. En Mongolie, chaque exploration se paye en litres de sueur et de larmes.



J’arrive finalement à destination. Je découvre alors un endroit magique, atypique, un oasis verdoyant flanqué au bord de la montagne. La végétation y est luxuriante, il y a de nombreux arbres, me fournissant une ombre bien trop précieuse et rare dans cette contrée. C’est le début de l’après-midi, il fait chaud et j’ai épuisé la plus grande partie de mes réserves d’eau. Au loin, une silhouette, que j’alpague gentiment. J’espère pouvoir lui demander des indications sur un endroit où remplir mes gourdes. Il s’approche : je constate tout d’abord que mon homme n’est pas un mongole. Il se rapproche encore, je devine un occidental. Je balbutie quelques phrases en anglais contenant le mot “water”, et j’entends en retour dans un français impeccable qu’il serait heureux de pourvoir à mes besoins.



Voici René. Un personnage. Français, marié à un mongole d’Oulan Bator. Il estive chaque année ici, seul, à expérimenter la permaculture dans cet endroit reculé de la Terre. Il l’a choisi pour son microclimat favorable et la proximité d’une source d’eau pure. Son but avoué : promouvoir la culture de légumes biologiques en Mongolie pour permettre aux locaux de varier leur alimentation et diversifier leurs sources de revenu. Un combat pas vraiment gagné d’avance, mais il n’est pas du genre à baisser les bras devant l’adversité. Un vrai caractère de nomade ! Avec lui, j’apprends que ce lieu est hautement sacré, et que le point indiqué sur ma carte est en fait l’ancien monastère Ovgon Khiid, qui fut le théâtre d’une sanglante exécution de moines. Aujourd’hui encore, c’est un lieu de pèlerinage. Je passe quelques heures avec René, bien heureux de pouvoir m’entretenir avec un compatriote après ces quelques jours de solitude. Nous parlons de tout et de rien, mais toujours des sujets les plus sérieux au monde. Entre légendes locales et passions personnelles, il me livre sa vision du monde et les secrets de son lieu de vie. J’apprends au passage que cette montagne abrite une meute de loups, qu’il n’a entrevu que très rarement mais entend régulièrement : l’animal fuit généralement la présence humaine et la plupart du temps, lui nous voit bien avant que nous puissions le voir …



Le moment est venu pour moi de reprendre la route, après cette pause enchanteresse qui m’aura fait prendre conscience de la valeur hautement symbolique du site. Je quitte René chargé d’un trésor composé de quelques tomates bio bien juteuses et de nombreuses histoires à me remémorer. Il me tarde de retrouver la piste sauvage, puis de trouver mon bivouac du jour. Je contourne la montagne par sa face sud-est dans le but de me mettre à l’abri du vent fort qui vient de se lever. Je profite finalement de cette providentielle formation rocheuse (voir photo), qui fera office de paroi idéale contre les alizées du soir. Me voilà bien installé, avec vue imprenable sur la montagne sacrée. Je repense à cette étape, à cette rencontre improbable, à ces chemins de bravoure. Je laisse les légendes se distiller dans mon imaginaire et m’abandonne peu à peu à la charge allégorique de ce lieu magique. Finalement, je décide de conclure cette journée fantastique par le soleil du juste. Je suis maintenant bien blotti au fond de mon duvet et ne lutte plus contre la fatigue … Mes songes se perdent progressivement dans les mythes enfouis du mont Khugnu Tarna. Au cœur de la nuit, j’entends au loin, dans un demi-sommeil embrumé, le hurlement du loup. Je n’ai pas peur, je me sens même en sécurité. Au fond de moi, je sens que la montagne dont il est l’animal protecteur lui a donné la charge de veiller sur moi. Je peux me rendormir paisiblement … Au petit matin, je suis toujours là, plus vivant que jamais, et je me dis que peut-être, tout ceci n’était finalement qu’un doux rêve.

Lire la suite »

Oulan Bator J173 Mongolie

Le Bilan Mongol

Écrit dans le train de Oulan-Bator à Pékin le vendredi 9 septembre 2016 – km 5850
 
La Mongolie, c'était …
 
Presque 2 mois de voyage. Un peu plus d'un mois de pédalage et 26 nuits à Oulan-Bator (13+13).
1500 km effectués sur le mois en vadrouille, dont un peu moins de la moitié sur piste
0 crevaison (spécial dédicace à mes nouveaux pneus Schwalbe Marathon Plus Tour)
Quelques problèmes de transit intestinal, quelques coups de soleil et de nombreuses piqûres de moustiques.
Un lumbago, et une petite semaine « d'arrêt maladie »
Du vent de face, de la pluie, de la grêle, tout ce que le ciel sait faire de mieux
De belles amitiés tissées à la Gana's guesthouse d'Oulan-Bator et sur la route
Des paysages à couper le souffle, un horizon toujours inspirant
Des kilos de mouton ingurgité
De merveilleux bivouacs quotidiens
Et même sans cheval, un voyage épique (!)

"La Mongolie, ce sont les paysages de Normandie avec un ciel sahélien" Sylvain Tesson, l'Axe du Loup
 
De Kharkorin à Oulan-Bator, cette dernière portion de périple mongol m'a apporté son lot de réjouissances, malgré une baisse nette des invitations et du nombre de rencontres. J'avais la possibilité d'emprunter une belle route asphaltée jusqu'à la capitale mongole, j'ai cependant privilégié la piste autant que faire se peut, pour rester dans l'esprit d'aventure et de découverte. J'ai ainsi traversé les splendides parc nationaux de Khogno Khan et de Hustai, planté ma tente dans les dunes de Mongol Els, observé les chevaux sauvages de Prevalski … Et suis arrivé complètement lessivé du dos à Oulan-Bator ! J'aurai aussi appris une notion essentielle : en Mongolie, les raccourcis n'existent pas. J'ai à plusieurs reprises entrepris de couper court pour finalement me retrouver bloquer devant une rivière, une falaise ou même une base militaire.
 

J'ai rejoint de nouveau ma bien aimée Gana's guesthouse comme si je revenais à la maison, et j'ai pu ainsi mesurer la différence entre l'état d'esprit timoré du début de mon séjour et l'esprit conquérant et confiant qui a caractérisé mon retour, regonflé à bloc de motivation et d'espoir pour la suite de mes baroudes. La Mongolie m'a incontestablement permis de devenir un voyageur plus aguerri et m'a fait engrangé une estimable expérience qui me permettra d'affronter les futures obstacles de la route d'une manière plus sereine. 
 

Je quitte un pays dur, singulier, vide parfois, mais qui m'aura donné bien des choses. Tous ces sourires, toutes ces larmes - de joie comme de fatigue - , ces nombreuses amitiés - durables ou fugaces - sont autant de magnifiques sensations que j'ai bien du mal à décrire en quelques mots. Au final, la Mongolie aura été une expérience intérieure sublimée par ses déboires extérieurs.
 

Je voulais traverser le désert du Gobi en vélo. J'ai finalement opté pour la voie ferrée. J'ai surtout profité de mon temps à Oulan-Bator pour récupérer de ce périple harassant. Il faut parfois savoir ménager sa monture. La capitale contraste nettement avec le reste du pays. Ici, c'est douche chaude, toilettes à l'occidentale, bars, restaurants, consommation facile et un style de vie nettement plus commode. C'est une ville qui compte 1 million d'habitants (le tiers de la population mongole) et un petit centre « moderne » qui procure parfois l'occasion de recroiser des visages connus. Je contemple donc paisiblement les courbes arides du sud du pays depuis la baie vitrée de ma cabine, ce qui n'est pas non plus la pire des situations. J'aime le train, et emprunter le dernier tronçon du mythique transmongolien représente aussi une belle expérience de voyage. Avec la Chine en ligne de mire ...

 



et un petit bonus ;)

Lire la suite »

Kharkorin J150 Mongolie

Où sont les arbres ?

(avec leurs branches et plein de charme)

Ecrit le 17 aout 2016 à Kharkorin – km 5400

J'exagère un peu, il y en a parfois, des arbres, en Mongolie. Mais la plupart du temps, le panorama  tend plus à ressembler à un désert vert, avec ses oasis, ses reliefs accidentés, ses rivières, ses magnifiques lacs. Je ne suis pas en manque de jolis paysages. La Mongolie, c'est aussi le royaume des mouches. Elles y prolifèrent et s'y sentent bien. Dès qu'il y a un peu de soleil et pas trop de vent, elles s'enchantent de ma présence et ne manquent pas de me rendre une petite visite. 

 

Une fois affranchi des chocs culturel et intestinal, je peux enfin profiter de la route. Ou plutôt de la piste. C'est en l'empruntant que j'ai réellement lancé mon aventure. A vrai dire, voyager en Mongolie en restant sur la route asphaltée, ce serait un peu comme essayer de découvrir la France en empruntant l'autoroute. De spectateur, je redeviens acteur de mon voyage.

 

Aux contraintes déjà évoquées dans l'article précédent, on peut rajouter celles liées à la piste en elle-même. Au menu du jour, gadoue, sable, gravier, cailloux, ondulations (*), bosses, passages à guets, le tout servi séparément ou bien simultanément. Il y en a pour tous les goûts, et en général c'est le dos qui déguste en premier. 

 

(*) Ondulations : cela doit être provoqué par le passage à répétition des voitures sur la piste. Il s'y forme parfois des petits agglomérats de sable ou terre meuble qui s'apparenteraient à de multiples dos d'âne disposés les uns après les autres. C'est vraiment compliqué d'avancer sur ce genre de difficultés, à la limite de l'infernal.

 

Dans de telles conditions, les plaisirs les plus simples sont les plus savoureux : observer un aigle voler en rase-motte, surprendre une marmotte se cacher dans son terrier, se réveiller au beau matin au milieu des chevaux, scruter la formation d'un orage à l'horizon, profiter du spectacle qu'offrent les cavaliers rassemblant leur troupeau, saluer les passants, se faire inviter à boire le thé par les nomades … 

 

… Car l'aventure est aussi humaine. Sur cette partie du chemin que l'on pourrait qualifier de « hors des sentiers battus », je n'ai pas manqué d'invitation, la curiosité et l'hospitalité des mongols n'étant pas en reste. J'ai pu ainsi goûter à quelques spécialités locales : thé au beurre de yak, lait de jument fermenté, riz au lait de vache, boyaux de moutons fraîchement préparés, petit gâteaux durs au goût de fromage et autres delicatessen made in yourte. Mon estomac commence à devenir blindé.

 

Je savoure aussi tous les merveilleux bivouacs que cette nature sauvage peut m'offrir. Je n'ai que l'embarras du choix, et quasiment chaque soir, je plante ma tente dans un décor idyllique. Avec pour préoccupation première de me protéger du vent et d'éviter d'éventuelles zones inondables. Je ne suis pas près d'oublier cette portion de mon périple. Je me suis parfois approché de mes limites physiques et mentales. Mais toujours avec une récompense au bout, une petite douceur qui me fait tout relativiser en un instant. Dure et fascinante Mongolie.

 

Depuis Khatgal, je suis redescendu sur Moron où je me suis reposé quelques jours à la guesthouse de la sympathique Baigal. J'y ai recroisé Tom et Olivia, cyclocampeurs eux aussi (www.abeecyclette.com), et de Petri, finlandais voyageant à moto rencontré à Oulan Bator. Puis j'ai débuté la piste à partir de l'oasis d'Ikh-Uul, et traversé la steppe en passant par les villages de Rashaant, Hairhan et Olzit. J'ai ensuite fait une petite halte sur le lac d'Olgi, paradis des oiseaux migrateurs, pour enfin atteindre Kharkorin, ancienne capitale mongole, où je me repose actuellement. J'y ai retrouvé Max et Youna, deux des amis rencontrés à la Gana's guesthouse de Oulan Bator. Eux voyagent à cheval. Et fait la connaissance de 3 autres cyclocampeurs, les « Voyageurs Vagabonds ». La moto et le cheval restent les deux meilleurs moyens de déplacement pour découvrir la Mongolie. Cependant je ne suis pas mécontent d'avoir décidé d'effectuer ce périple à vélo. C'est une expérience unique.

 

Lire la suite »

Khatgal J135 Mongolie

La reprise du cyclocampeur

Ecrit le 2 aout 2016 à Khatgal (Mongolie) km 4800

Après un long mois sans pédaler, la reprise s'annonçait poussive … Après ces 15 jours à Séoul/Chuncheon puis ces 15 jours à Oulan Bator, où j'ai passé le plus clair de mon temps à organiser, réparer, prévoir, me renseigner, échafauder des plans, j'étais un peu sorti de mon voyage.

A Oulan Bator, j'avais aussi créé un cercle amical, dans l'intimiste Gana's GuestHouse, une auberge ayant pour particularité de proposer des yourtes en dortoirs plantées directement sur le toit d'un bâtiment. Un lieu de passage et de préparation pour de nombreux voyageurs en quête d'aventure. Je m'y suis laissé bercé par la facilité de la vie et la chaleur des relations. Le défi de reprendre la route était donc aussi de m'extirper de ce petit cocon rassurant, pour me frotter de nouveau au piquant de l'aventure.

 

Après 1 semaine de nouveau sur le chemin, je suis toujours à la recherche de ma condition physique et de mon rythme de croisière. Il faut dire, les conditions de pédalage sont assez difficiles et parsemées de quelques embûches. Tout d'abord, j'ai contracté l'inévitable tourista et ses sympathiques convulsions intestinales. Aussi, la météo est capricieuse et imprévisible : pluie soudaine, vent, grêle, orages, soleil de plomb. Je dois lutter en permanence contre les éléments. Les longues distances sont aussi un facteur épuisant pour le moral : c'est souvent 50-70 km minimum entre deux petits hameaux, avec une étrange sensation de vide entre les deux. La terre y est le plus souvent pelée de ses arbres, et pour trouver de l'ombre, c'est parfois compliqué. Enfin, la présence inopportune d'insectes divers et variés, dont mes amis les moustiques, et celle tout aussi indésirable d'humains sur-alcoolisés et irrespectueux. Bref, en Mongolie, il y a toujours un élément contre lequel je dois combattre, les répits sont rares.

 

Mais ce pays apporte aussi bien sûr son lot de joyeuseté. Le sourire des locaux en est la première. C'est toujours mon carburant pour avancer et éviter les pannes de moral. Je me fais régulièrement encourager par nomades et touristes locaux, et lorsque je m'arrête, j'ai souvent le loisir de papoter - dans la limite de mes capacités linguistiques et de celles de mes interlocuteurs. Les Mongols sont assez curieux, pour mon plus grand plaisir. Par ailleurs, la notion d'espace privé devient un concept quelque peu abstrait.

 

L'autre motivation, c'est la beauté des paysages. Et notamment de ce ciel hors du commun. J'ai tout le temps de l'observer se mouvoir lentement, de le décrypter pour prévoir la météo, de l'admirer dans sa tenue étoilée la nuit venue, d'admirer ses nombreuses nuances de couleurs, ses infinies formes de nuages. Il devient le moteur de mes humeurs, le mojo de mes photos. Il est à la fois mon meilleur allié et mon pire ennemi … Il s'impose de lui-même et c'est tout naturellement qu'il s'approprie une conséquente partie de l'espace de mes pensées et de mes clichés. 

 

Finalement, je réapprends tout doucement à me laisser porter par les événements. Comme cette fois où j'ai accepté de me faire transporter en camionnette pour finalement le soir venu planter ma tente à côté de la yourte de mes convoyeurs. J'ai pu ainsi rentrer dans l'intimité d'une famille de ses éleveurs nomades et comprendre un peu mieux leur (dur) mode de vie. 

 

Depuis Oulan Bator, j'ai pris le 26 juillet un train couchette jusqu'à Erdenet. Et puis j'ai roulé sur une belle route asphaltée (incluant un lift en camion sur plus d'une cent-cinquantaine de kilomètres) en passant par Bulgan, Hutag  Ondor, Moron et enfin Khatgal, où je prends actuellement une pause au bord du lac, un endroit paisible où j'espère enfin récupérer de mes problèmes intestinaux. Cette reprise a été rude, mais stimulante. Je me prépare à aller plus au sud, en passant par la piste. Je n'exclue pas de me faire de nouveau trimballer en camion si l'occasion se présente : les distances sont tellement énormes, je n'aurai de toutes façons pas la possibilité d'effectuer la totalité du trajet prévu par la seule traction de mes cuisses. 

 

Lire la suite »

Retour en haut