Varanasi
Vivre et mourir à Varanasi
Beauté, puissance et décadence. Varanasi. 3 simples mots qui caractérisent cette ville brûlante et enveloppante. Ce serait comme une symbiose de ferveur religieuse et de force noire. Ici, on consume ses morts à ciel ouvert, dans un espace dédié, au bord du Gange. Les cendres sont versées dans le fleuve. Les cadavres considérés comme purs (femmes enceintes, enfants, victimes de morsure de cobra, ect …) y sont jetés tels quels. Le reflet des flammes des bûchers sur les murs recouverts de suie donnent à cet endroit un air d'enfer sur Terre. Des âmes malignes s'y épanouissent, shootées du matin au soir et essayant d'extorquer les touristes de passage. Rien qui ne puisse entraver le recueil des familles des défunts, tout en retenue, tout en dignité. Les femmes ne sont pas autorisées à participer à la cérémonie. Explication locale : elles pleurent. Et ici, on ne tolère pas les effusions émotionnelles en public. Cependant, mourir et se faire incinérer à Benares est considéré comme un privilège : le cercle des réincarnations est ainsi rompu, le nirvana atteint à coup sûr.
On ne peut pas réduire Varanasi à ses ghâts de crémation. Le Gange, c'est aussi la vie, la baignade matinale, les bénédictions rituelles. Son eau est considérée comme sacrée et pure par les Hindous, on lui confère même des vertus médicinales. En vérité, même si je la trouve moins polluée que la Seine, je n'y mettrai pas non plus mes pieds. Il existe en Inde un réel débat concernant la pollution de cette portion du fleuve. De nombreux scientifiques se sont penchés sur la capacité hors-norme de régénération de cette eau : ils y ont découvert un taux de bactéries 100 à 1000 fois plus important que dans une banale rivière. Le dépolluer comporterait un risque de destruction de cet équilibre bactériologique.
Derrière ces ghâts, commence la ville ancienne, qui fait tampon entre les bords du Gange et la ville nouvelle. Elle agit comme un filtre qui retient camions voitures et motorickshaws loin de cet espace fluvial, lui donnant un air de bord de plage, apaisant. Restent les gens, les motos et leur klaxons, et les vaches, les innombrables et bien portantes vaches qui font leur ordinaire des immondices jonchant le sol. Dans le dédale des rues, on se perd, on se retrouve, c'est ce qui donne à Varanasi ce charme de petit village quand on commence à y prendre des repères.
J'ai passé 12 jours ici, et j'aurai pu y rester plus longtemps, sans m'en rendre compte, si je n'avais pas eu à revenir à Delhi (avec grand plaisir) pour l'anniversaire de mon ami Vivien. Car on se laisse facilement happer par cette atmosphère ronronnante : chaque jour ressemble au précédent, avec un petit rituel, immuable, réconfortant et faisant oublier le temps qui passe. Debout 5h30 pour observer la vie matinale sur les ghâts, petit dej avec les amis du jour, sieste puis repromenade, parfois. Entre midi et 16h, inutile de planifier, à cause de la chaleur … Bref, Varanasi, c'est la ville idéale pour flâner.
J'ai fait un petit bout de chemin depuis, j'ai célébré des 34 ans à Delhi, puis fait un bref séjour à Haridwar, pendant un festival religieux hindou. Intéressante immersion dans la vie indienne. Ma cheville passe par des épisodes assez douloureux. Je dois impérativement baisser la cadence, qui n'était pourtant pas très élevée. Le voyage prend un côté plus contemplatif qu'aventureux. Je m'adapte. A Rishikesh, où je viens de poser mon sac, j'espère trouver le repos dont j'ai absolument besoin. Le coin me paraît propice à cet exercice, et c'est tant mieux.
commentaires
"Seb, tu nous fais rêver ! Merci pour tes riches commentaires, cela fait vraiment du bien de se laisser transporter et de prendre du recul par rapport au quotidien, aux contraintes, à tout ce qui nous ôte la curiosité et l'ouverture. Tes photos, les regards, la lumière , en un mot : la beauté des êtres et des lieux qu'on ne connaît pas , nous font toucher quelque chose de plus de notre humanité. On se sent aussi près de toi. Bonne route et bises !"
"Sébastin, ta prose et tes magnifiques photos me replongent dans l'ambiance assez unique de Varanasi. Un article tout en finesse qui montre très bien l'ambivalence de ce lieu. Y prendre son temps est un peu la condition nécessaire pour aller au delà des premières réactions. Moi aussi, j'avais quitté cette ville à regret après seulement une semaine."
"Les photos sont vraiment à couper la souffle, j'en perds mon slip !
12 jours ça commence à faire quand même dans cette ville !"
"Wow, 12 jours ! Respect ! J'y étais resté 2, ce qui était peu c'est vrai (mais mon séjour en Inde était court tout court...) et je serais pas contre y revenir parcourir cette fois les petites ruelles menant aux Ghats et m'imprégner un peu plus longuement de l'ambiance si spéciale à cette ville sacrée ! Belle photos au passage !"
"@ Maryvonne : merci pour le gentil commentaire, et passe le bonjour à François et à toute la famille de ma part !
@ Laurent : exactement, c'est une ville où l'on oublie le temps. Cela m'étonne à peine qu'elle existe depuis plus de 3000 ans (certains disent 7000 années).
@ Brice : merci ! honnêtement j'aurai pu y rester plus longtemps. Tout dépend ensuite de sa propre dynamique de voyage !
@ Romain : si tu as su l'apprécier en 2 jours, c'est sûr que tu dois y retourner. merci pour le compliment ;)"
"Superbe article... je ne suis pas allée à Varanasi lors de mon séjour en Inde et je le regrette. Et ton article (et tes photos!) me donnent encore plus envie d'y aller. Voir cette ville d'apparence troublante, entre la douceur du Gange et les crémations. C'est un endroit à voir j'en suis sure."
"Si tu y vas, prévois d'y rester plus de 10 jours, pour bien ressentir le quotidien et avoir le temps de prendre un peu tes marques. C'est une ville-aimant !"
"Ça a l'air vraiment particulier! Il faut vraiment que je passe par l'Inde pour mon prochain voyage! :)"
commenter la Baroude