Ksamil J150 Albanie

L'attente du cyclocampeur

Ecrit le 27/11/15 à Ksamil (Albanie) - Jour 150 - Km 2472 (+2700 km ancien compteur)

Ces derniers jours, j'ai pris deux décisions importantes pour la suite de mon voyage. Tout d'abord, de rentrer en France pour les fêtes de fin d'année. Ensuite, de reprendre la route à l'éclosion des premiers bourgeons. Il me reste donc un hiver à remplir, ce qui me donnera le temps de réfléchir aux prochaines cibles accessibles pour ma fléchette à deux roues. Une seule certitude, le point de nouveau départ sera l'arrivée finale du périple actuel: Athènes. J'ai en effet la possibilité d'y faire hiberner mon vélo chez une amie (Merci Véronique !). Quelque part, ce sera comme si je ne stoppais pas le voyage en cours, comme si je n'effectuais qu'une simple pause. Cette idée me plaît car je n'ai pas envie de m'arrêter en si bon chemin. J'évite ainsi le rude hiver qui se prépare et recharge sereinement mes batteries auprès des miens.
 
Car c'est vrai, l'hiver européen n'est pas vraiment la meilleure des saisons pour le cyclotouriste. Voguer toujours un peu plus vers le sud permet de retarder l'échéance de la rudesse des conditions météorologiques sans pour autant l'éviter éternellement. Nous sommes actuellement coincés dans le sud de l'Albanie depuis plusieurs jours (Himare, Sarande, Ksamil), attendant la fin des giboulées et autres orages pour pédaler de nouveau au sec. Le ciel est changeant, imprévisible, et seul s'armer de patience nous permettra d'économiser ces précieuses réserves de force mentale. Rouler mouiller, c'est une des principales craintes du cyclocampeur. 
 
C'est par contre un temps propice à la réflexion et pour prendre soin de son corps, reposer son esprit. Au menu des occupations quotidiennes nous comptons sur les jeux de cartes, l'épluchage des films de mon disque dur (lorsqu'il n'y a pas de coupure d'électricité), la mise à jour des lectures en cours et quelques conversations métaphysiques. C'est aussi dans ce genre de situation que la notion de groupe prend tout son sens. 
 
Les derniers 800 kilomètres qui me séparent d'ici à Athènes risquent donc d'être parcouru à un rythme un peu plus soutenu que prévu. Je ne me mets pourtant aucune pression. Ce qui compte avant tout : profiter de ce que la route m'offre comme j'ai tenté de le faire jusqu'à présent. Il y a quelques temps le fait de penser à une éventuelle fin de parcours m'aurait rendu triste et anxieux, mais la douce projection de retrouver famille et amis suffit à mon bonheur et me permet d'aborder ce dernier tronçon de route en toute quiétude, avec le sentiment d'avoir déjà vécu une aventure extraordinaire.
 
Depuis Tirana, nous avons traversé la morne plaine de la côte adriatique. Les paysages ne furent pas franchement hospitaliers. Il s'y prépare manifestement pour la prochaine décade une gigantesque invasion de touristes : les bâtiments en cours de construction pullulent, sans vraiment savoir si on aura un jour le privilège de pendre leur crémaillère.  Pour renouer enfin avec la splendeur de la nature, nous avons du franchir un rude col à plus de 1000 mètres d'altitude (le mont Cka), avec son lot de pentes raides et de transpiration inhérente. Aussi, j'ai eu la possibilité de découvrir le site archéologique de Butrint, inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco. Il témoigne de l'activité débordante de la région depuis l'Antiquité jusqu'au Moyen-Age, et rassemble en son seing de nombreux vestiges d'époques variées, cette petite presque-île ayant été dominée successivement par les grands empires grecs et romains (avec même un bref épisode de colonisation normande). L'Albanie est définitivement un pays différent, riche de par la chaleur de ses habitants et de par son histoire, et qui propose un réel dépaysement à celui qui saura apercevoir la beauté sous ce vernis de misère. J'aimerai y retourner un jour.
 
De la Grèce, je garde un souvenir impérissable des colonies de vacances où j'avais fêté mes 14 ans. Un séjour itinérant à découvrir les féeriques Cyclades : Amorgos, Santorin, la Crête … Plus j'y repense et plus j'ai l'intime conviction que c'est lors de cette première expérience encadrée de Liberté que j'ai été piqué la première fois par la mouche du voyage. En revenant ainsi sur mes traces d'apprenti backpacker, je boucle peut-être mon premier grand cycle de vie de baroude, ouvrant la voie à un nouveau que je souhaite encore plus riche et palpitant !

Je me souviens aussi des villages aux maisons blanches et volets bleus, du sourire des habitants et de l'excellente et saine cuisine des îles. J'imagine qu'après toutes ces années je vais mettre les pieds dans un tout autre pays. La crise étant depuis passée par là, je ne sais pas du tout à quoi m'attendre. Finalement, c'est peut-être mieux comme ça, de me laisser surprendre et d'écrire ce nouveau chapitre de mes aventures à partir d'une page totalement vierge. 

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Shkallnur J139 Albanie

Le Sourire Albanais

Ecrit à Shkallnur (Albanie) le 16/11/15 - km 2150 nouveau compteur (+2700 ancien compteur)

Bien sûr, nous sommes tous marqués par cet ignoble tragédie. 

Nous l'avons appris, en cette douce matinée d'automne, alors que nous nous réveillions paisiblement dans la demeure de la famille d'Izmir. A l'improviste, nous avons été chaleureusement invité à prendre part aux rituels domestiques alors que le soleil se couchait et que nous commençions à spéculer nerveusement sur la teneur de la nuit qui allait suivre. Alors même que se déroulait les attaques, nous vivions un intense moment de fraternité et d'amitié interculturel et inter-religieux, bien éloigné des principes intolérants qui ont conduit ces quelques tarés à répandre la terreur sur mon beau Paris. 
 
L'Albanie est d'ailleurs un exemple concret de cohabitation religieuse pacifique dans un pays à forte dominante mulsulmane. Dans les grandes villes se cotoient harmonieusement clochers et minarets, dans une atmosphère de paix sereine. Cette force tranquille, elle vient probablement du caractère enjoué et curieux des autochtones, à la fois protecteurs et chaleureux pour nous touristes à vélo. Le plus beau paysage que peut nous offrir ce pays, c'est le sourire de ses habitants... L'âme de l'Albanie.

A la simple évocation de mon pays d'origine, c'est avec un sincère désarroi que les albanais témoignent leur sympathie pour mes compatriotes. C'est un vif message de fraternité que je veux partager avec vous. Face à ce drame, nous devons rester unis dans la douleur, toute nationalité ou religion confondue. Pour combattre la haine, pour faire renaitre l'espoir, pour continuer à aspirer à la Liberté.
 
Concernant l'expérience baroudeuse, ce pays propose le premier réel dépaysement depuis le départ. J'ai bien cru retrouver sur bien des points ma chère et tendre "Mother India" : le chaos ambiant, le sourire et la curiosité des passants, les sympatoches chiens errants, les quelques vaches parsemées sur le chemin, la relativement haute densité de population, les petites boutiques spécialisées, le bruit des klaxons, le dodelinement de tête d'acquiescement, les enfants mendiants, la pauvreté et richesse apparente ... Tout ce qui fait de l'Inde un cocktail détonnant, l'Albanie le possède, sans pour autant exercer sur le touriste la même pression surréaliste. C'est un vrai plaisir de découvrir ce pays, à la fois si proche géographiquement et si loin dans les us de notre Europe. Reste un mystère à élucider : 70-80 % du parc automobile est composé de bonnes grosses berlines Mercedes, allant du tas de taules jusqu'au coupé rutilant. Magie du marketing ? Prédominance de l'apparence ? Confiance aveugle en la robustesse allemande ? 
 
Avant cela, malgré la beauté de la Croatie, rien ne nous avait préparé à la majesté des paysages monténégrins. Nous avons traversé une baie féérique, gravi un col à 1100m, bivouaqué à la belle étoile 100 m plus bas, savourant inoubliables coucher et lever de soleil. Nous avons campé au bord d'un marais, nous réchauffant au feu de bois, bivouaqué au pied d'une église ... Le Monténégro a été le tampon idéal entre ces deux grands pays, nous offrant le meilleur du spectacle naturel croate et une porte ouverte vers la chaleur des albanais. Jusqu'à Pogdorica, capitale sans âme de ce pays atypique. 3 nuits au paradis. 
 
Voyager à plusieurs se révèle aussi une expérience enrichissante. Le groupe lui-même se présente comme une entité vivante qui évolue au fil du temps. Tout d'abord en nombre : de 4 nous sommes à 7, puis à 8, ensuite à 6 pour enfin revenir enfin au nombre initial. Et puis en terme de relation : nous apprenons à nous connaitre, à gérer nos humeurs et rythmes différents. Une complicité se créée et les "privates jokes" se multiplient. Cette entité se présente sous la forme d'un cocon protecteur, nous donnant la force et la sécurité du nombre, l'envie de composer un destin commun. Toutefois, j'aspire aussi à tenter ma propre expérience du pays, de me remettre dans l'esprit du voyageur photographe, et pour cela, il me faudra quitter à contre-coeur cette joyeuse tribu qui est la mienne depuis plus de 2 semaines. Avec l'espoir non dissimulé de pouvoir rouler de nouveau à leur côté un jour prochain. Nos karmas sont dorénavant liés. 
 
Je pense aussi très fort à ma famille en France. Loin des yeux près du coeur, je vous envoie toutes mes ondes positives et mon affection à distance, et chaque kilomètre parcouru est pour moi l'occasion d'appliquer nos valeurs partagées de générosité et de respect. Je voyage aussi avec vous et vous embrasse bien fort. Avec des bises toutes spéciales à mon papy et ma mamy que j'adore.
 

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Dubrovnik J129 Croatie

Le rythme du cyclocampeur

Écrit à Dubrovnik le 06/11/2015 – km 1768 nouveau compteur (+ 2700 km ancien compteur)

Lorsque j'avais imaginé mon voyage automnal, je m'étais figuré les caprices de la météo et les fluctuations de fréquentation touristique. Cependant, j'avais oublié une notion essentielle : la durée d'ensoleillement. Car c'est elle qui conditionne le rythme de la journée du cyclocampeur. Souhaitant rouler au clair, lorsque le crépuscule pointe le bout de son nez à 17h00, il est préférable de commencer à chercher le bivouac à partir de 16h00. Il n'est même pas rare que je me retrouve dans les bras de Morphée bien avant le début du journal de 20h, alors plongé dans la nuit froide et humide. Le changement à l'heure d'hiver n'arrange rien et me décale d'autant plus du monde civilisé. Avec comme conséquence fâcheuse de raccourcir considérablement le temps de pédalage journalier, et donc le nombre de kilomètres potentiellement accomplis en un tour de soleil. 

 

De jour, le contraste est saisissant. Le soleil s'installe, cognant comme un aoûtien et assurant au voyageur d'air libre une salvatrice assistance morale. Et bien, je dois avouer, cela fait plaisir ces vacances à l'intérieur des vacances. Ne pas avoir à lutter contre la pluie ou le vent apporte réjouissance et matière à enthousiasme. Sourire que semble aussi avoir retrouvé les locaux. Il n'est désormais pas rare de se faire encourager par un coup de klaxon amical (ou pas) ou de répondre à l'aimable salutation d'un badaud. Finalement le soleil est le meilleur remède contre la morosité. 

 

Après Skradin, j'ai ralenti le rythme pour la première fois depuis Vienne. Tout d'abord, un hôte Warmshower (que je n'ai même pas le loisir de rencontrer) a eu la bonté de me laisser un minimaliste appartement pendant 6 jours, à Kastela, tout proche de Split. C'est un petit village de pêcheurs où le tourisme ne semble pas encore avoir eu prise, avec son esprit de quartier et son historique patrimoine architecturale. J'ai adoré me laisser happer par le faux-rythme de la vie locale, sans penser à avancer, à contempler le soleil se coucher où observer les vagues se briser. Et puis j'ai fait ma première rencontre croate, Malo, qui m'a montré quelques coins sympas de Split et quelques tips pour essayer de mieux comprendre les autochtones. 

 

Un autre changement majeur dans mon voyage, je voyage désormais en groupe. Je ne l'ai pas cherché, mais l'opportunité s'est présentée avec des cyclocampeurs que j'ai apprécié dès le premier jour. Et qui aussi, point essentiel, ont un rythme analogue au mien : une cinquante-soixantaine de kilomètres par jour (ou moins). Voyager en solitaire comporte ses avantages, importants à mes yeux, qui m'ont d'ailleurs poussé à penser mon voyage comme un « one-man trip». Mais le groupe me révèle une autre facette de l'aventure, socialement enrichissante car la rencontre se déroule plus sur le long terme que celle d'un local que l'on devra laisser un moment ou un autre sur le bord de la route. Côté matériel, il y a un autre avantage non négligeable : on partage les frais de bouche et de logement, et l'on gagne ainsi en confort tout en faisant des économies. J'imagine que d'une manière ou d'une autre le voyage me préparait à cette éventualité, et que j'étais enfin mûr pour accepter de partager la route. 

 

Nous somme donc 7. Groupe qui a été composé en 2 étapes. J'ai d'abord rejoint le noyau initial composé de Mona (Suisse), Max (France) et Calvin (Nouvelle-Zélande). Et quelques jours plus tard, c'était Tim (Suisse), Antoine (France) et Lydia (Hollande) qui venaient grossir les rangs. Tous partis de France (à l'exception de Lydia), nous traçons dorénavant la route en convoi, et dieu seul sait lorsque nos chemins se sépareront. Une seule certitude comme objectif commun : rejoindre la Grèce dans l'espoir d'un hiver meilleur. 

 

Parcourir la côte croate se présente comme un émerveillement quotidien. Malgré les routes parfois inhospitalières à la pratique du vélo, nos yeux s'écarquillent sur ces beautés de la nature et ces petits bijoux architecturaux. Après Split, nous avons pris le ferry direction l'île de Korcula et son relief accidenté. Au menu routes de bord de falaise somptueuses, passages au beau milieu de vignobles généreux et ma première baignade dans la mer adriatique, par une douce matinée de début de mois de novembre. Je n'ai pas pu résister au plaisir de nager dans cet eau presque chaude, le soleil levant venant me chatouiller gentiment la peau. Enfin, cerise sur le gâteau, Dubrovnik la blanche élégante nous dévoile ses charmes et nous permet de conclure en beauté cette traversée de la Croatie, parfois éprouvante, parfois douloureuse, parfois déroutante, mais surtout sublime et majestueuse.

 

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