J501 Klaipeda Lituanie (+Lettonie)

L'ours de la baltique

Ecrit à Klaipeda, le dimanche 30 juillet 2017 – Km 15400 (21400 depuis le départ de France)

Au risque de décevoir certains, je ne vais pas ménager le suspens plus longtemps. Je n'ai vu aucun ours en Lettonie. Ni même dans aucun autre pays (même si j'ai bivouaqué par inadvertance dans une réserve d'ours en Croatie). En fait, l'ours, c'est moi. S'il se prolonge, le voyage en solo peut donner à son protagoniste des habitudes de grizzli et le tempérament peu sociable de l'ours mal léché. Avec parfois l'envie de ne pas se mélanger, de rester spectateur.

 

Ce n'est pas une sensation déplaisante, bien au contraire, j'apprends à chérir ces moments, à les apprécier à leur juste valeur. Ce sentiment de détachement peut favoriser des périodes propices à la réflexion et l'observation. Ainsi, en contemplant des scènes de la vie courante, j'ai parfois l'impression de m'immiscer furtivement dans la réalité des gens. Tel le passager d'un train qui scrute le paysage à travers la baie vitrée, il y a cette distance. Ce qui restera pour moi un souvenir lointain sera peut-être un événement majeur de la vie d'un homme. 

 

Je reste toutefois ouvert aux rencontres, et occasionnellement me laisse sortir de cet état extatique pour apprécier la compagnie et la discussion. Frederik (Belgique) a été un bref mais excellent  compagnon de route, bien plus flexible et rodé au voyage en duo que moi. J'ai aussi fait de merveilleuses rencontres grâce aux réseaux d'hospitalité : Laura a été un guide zelé à Sigulda et Victorija m'a hébergé dans sa maison verdoyante en plein Riga. Cela a été aussi une super et enrichissante rencontre couchsurfing avec Ema et Augustas à Klaipeda, qui m'ont promené gaiement au célèbre et annuel festival de la mer.

 

La plus belle des soirées a été avec David et Zane, un chaleureux couple franco-letton vivant à Kuldiga. David a rencontré Zane au tout début de son voyage (5 ans en vélo dans tous les recoins de l'Europe). Zane l'a attendu tout ce temps, telle une Pénélope espérant son Ulysse - le rejoignant tout de même dès que l'opportunité se présentait. Ils se sont mariés en juillet dernier, peu après la fin de son périple. Ce fut un copieux dîner à échanger nos points de vue sur le voyage, à nous raconter quelques étonnantes histoires. David m'a notamment indiqué des pistes intéressantes pour franchir quelques paliers de liberté. Je les médite toujours. Le lendemain, Zane m'a gratifié de ses précieux conseils de kiné pour m'aider à gérer ce mal de dos.

 

Par ailleurs, à cette période de l'année, cette route longeant la côte baltique est très empruntée par les cyclo-touristes, alors je taille allègrement la bavette avec ceux qui veulent bien s'arrêter un moment. Certains autres semblent être un peu pressés … Je ne veux pas bousculer leur planning. 

 

C'est vrai qu'il y a tant à voir sur cette belle côte sauvage lettonne. Tous les oiseaux du monde semblent s'y être donnés rendez-vous, et notamment les majestueuses cigognes. Il y en a partout ici, c'est la première fois de mon voyage où je regrette de ne pas avoir emporté mon téléobjectif. Je les observe de près, perchés sur leur imposant nid, d'où elles me surveillent d'un œil inquiet mais tout aussi curieux que le mien. J'ai tout le loisir de les admirer élever leur progéniture, de constater la croissance rapide de leurs petits, qui apprennent à voler sous le regard bienveillant de leurs parents. Je pourrais même peut-être bientôt assister à leur premier envol !

 

Le printemps a duré jusqu'à la mi-juillet. J'ai beaucoup apprécié rouler avec des températures fraîches, maintenant, je profite des températures idéales. Pour mon anniversaire, cela a été une journée parfaite, à rouler sous un soleil clément, avec un beau spot de camping sauvage à la clef. J'ai déniché aussi quelques bivouacs mémorables en bord de plage, lorsque le vent le permettait. L'un d'entre eux, ce fut dans un endroit assez particulier surnommé le Ziemelu Forti, au milieu des bunkers issus de l'occupation soviétique (merci David pour le tuyau).

 

Ce qui me donne l'occasion d'ouvrir une petite parenthèse historique. Si l'indépendance officielle de la Lettonie a été déclarée en 1920, dans la pratique, ce territoire a été longtemps sous occupation allemande et soviétique. C'est réellement en 1991, 2 ans après la chute du mur de Berlin, que les lettons ont pu reprendre complètement leur souveraineté. En attestent les nombreux drapeaux bordeaux et blanc flottant fièrement dans les jardins locaux. 

 

Si ces bunkers datent probablement d'après la seconde guerre mondiale, c'est en revanche la guerre 14-18 sur mes jambes : s'y accumulent les nombreux cratères issus du pilonnement adverse, sans que je puisse vraiment y opposer quelconque résistance. Les moustiques aiment le sang chaud, et c'est vrai qu'en leur présence, je perds totalement mon sang froid. 

 

Au rayon des incommodités, dans un autre genre, il y a les fameuses « gravel roads » lettones. Ce sont des routes qui ne le sont pas encore vraiment, sorte de bâtardes entre voie asphaltée et chemin de terre, qui offrent les inconvénients cumulés des deux : progression difficile et tracé ennuyeux. Avec en bonus : les nuages de poussière que les voitures y produisent en roulant à tombeau ouvert et ces mini-vaguelettes sableuses, les petites sœurs de celles qui m'ont rendu fou en Mongolie. En résumé, j'essaie de les éviter au maximum. 

 

Par rapport à l'Estonie, il y a aussi quelques changements notables. Tout d'abord au niveau du langage, celui-ci étant plus proche du russe, alors que l'estonien était plus proche du finnois. Cela a d'ailleurs été une entrée en matière assez rocambolesque. A peine passée la frontière qu'un gamin sur son vélo - ce traître - m'a gratifié d'un énergétique mais peu assuré « fuck you motherfucker bitch » avant de s'enfuir, en pouffant. J'ai tout de suite compris qu'ici communiquer en anglais allait être assez simple, et me suis ensuite réjouis de constater que les gens du cru devaient être moins timides que finlandais et estoniens. Chou blanc, car en plus d'être plus sociables et curieux, ils sont aussi très sympas. 

 

Je suis aussi ravi des spécialités que me proposent les boulangeries. En attendant la France, je peux me consoler en me délectant de moultes delicatessen : gâteau au miel, pâte fourrée au lait concentré caramélisé, mini-pizza, génoise à la crème et aux fraises, gâteau à la rhubarbe, mon préféré restant le « Napoléon », le mille-feuille du terroir. L'offre de pain est pléthorique et de qualité. 

 

Juste après la frontière avec l'Estonie, j'ai bifurqué dans les terres pour éviter de me coltiner la grosse et engorgée nationale qui longe la côte. J'ai traversé des petites villes pittoresques à l'instar de Limbazi, avec leur cortège de maisons traditionnelles en bois. J'ai ensuite passé quelques jours autour de Sigulda et sa magnifique vallée, pour moi le plus bel endroit en Lettonie. Les paysages y sont fort différents du reste du pays, c'est très vallonné, il y a aussi de nombreuses grottes et chutes d'eau, un panorama à couper le souffle et un beau château fraichement restauré. J'ai aussi passé quelques jours à Riga, qui à mon humble avis souffre un peu de la comparaison avec Tallinn. Puis j'ai ensuite emprunté une magnifique route de vallée entre Tukums, Talsi et Valdemarpils. Ce fut ensuite beaucoup plus ennuyeux de longer la côte jusqu'à la frontière lituanienne. J'ai eu cependant l'heureuse idée de repiquer une nouvelle fois dans l'arrière pays pour découvrir la charmante Kuldiga et sa chute d'eau la plus longue d'Europe. 

 

Après m’être habitué au côté sauvage et paisible de la Lettonie, cela a été un petit choc de me retrouver dans le pays voisin, la Lituanie. Le monde entier semble s'y être donné rendez-vous pour les congés d'été. On s'y bouscule, s'y entasse, chaque station balnéaire semble être arrivée au maximum de sa capacité d’accueil. 

 

La centaine de kilomètres de la côte lituanienne se divise en deux parties à peu près égales. La face nord, c'est celle qui est bondée (Palanga, Klaipeda). En revanche, la face sud est un parc naturel, une longiligne bande de terre parsemée de dunes impressionnantes (Nida). Sur les deux faces, le bivouac y est compliqué: sur l'une à cause de l'affluence humaine, sur l'autre à cause de son affluence en fourmis (et accessoirement parce que le camping sauvage y est interdit). J'y ai tout de même trouver un refuge idéal et un bivouac dont je me souviendrai tout ma vie : dans une providentielle tour d'observation d'oiseaux, qui ne peut pas mieux porter son nom. Pendant les 2 nuits où j'y ai élu domicile, j'ai vu passer hérons, cygnes, canards plongeurs et quelques cousins lointains de la mouette. J'ai pu aussi m’émouvoir un tantinet en admirant le royal vol d'un couple d'aigles à queue blanche. Il y a avait même une loutre de mer pour me tenir compagnie, en plus de la visite amicale de quelques promeneurs du dimanche : Ina et Vidis m'ont au passage invité à savourer le traditionnel poisson fumé, accompagné de thé à la confiture de mirabelles. 

 

Je quitte les pays baltes avec le sentiment d'y avoir trouvé une séduisante nature, et la satisfaction d'avoir découvert de nouvelles cultures, de nouveaux horizons, sur ces terres aussi riches de leur différences que de leur histoire commune. J'y ai aussi beaucoup ressenti l'influence russe, alors qu'en fait, chacun des 3 pays essaye tant bien que mal de s'affranchir de la présence de leur envahissant voisin. Pour ma prochaine étape, cela sera un saut dans un univers beaucoup plus familier. Mais avec toujours la même envie, la même volonté de profiter de la route et des surprises qu'elle me réserve encore pour les semaines à venir … 

 

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